L'art du portrait en BD #7

Maus de Art Spiegelman

C'est avec une des bandes les plus marquantes du XXe siècle que nous terminons cette évocation de l'art du portrait en BD. Je remercie encore les élèves de première et terminale, option histoire des arts, du Lycée Descartes, qui ont lu et chroniqué les titres que nous vous avons partagé, ainsi que leurs professeures qui nous ont sollicitées pour ces interventions. Je laisse la place à Antoine B. qui s'est confronté à la seule bande dessinée ayant reçu le prix Pulitzer, Maus de Art Spiegelman.


Figure de la BD underground

"Art Spiegelman est un auteur de bande dessinée et illustrateur américain d’origine polonaise, né le 15 février 1948 à Stockholm en Suède. C’est une figure de la bande dessinée « underground » américaine des années 1970-1980, et un illustrateur renommé. Il suit très tôt des cours de dessins et est publié alors qu'il n'a que seize ans. En 1968, après avoir achevé ses études, il commence à être publié dans la presse d’avant-garde dans la revue Arcade. Son style est expressionniste : il tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle et ses représentations sont souvent fondées sur des visions angoissantes, qui déforment et stylisent la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Il dépeint souvent des réalités brutales comme celle en lien avec le traumatisme causé par le suicide de sa mère dans Prisonnier dans la planète enfer. Il a aussi conçu de nombreux et divers autocollants et paquets de cartes à collectionner : les Garbage Pail Kids qui devinrent Les Crados dans leur édition française.

Le magazine Raw

Maus est sa bande dessinée la plus connue et celle qui l’a rendu célèbre. Elle est publiée pour première fois en 11 épisodes entre 1973 et 1991 dans le magazine Raw. Cette revue américaine de bande dessinée est dirigée par Art Spiegelman lui-même et sa compagne Françoise Mouly qui concevait les maquettes et dirigeait son impression dans leur loft new-yorkais. Elle a été publiée de 1980 à 1991 et était constituée exclusivement de bandes dessinées d'avant-garde : des artistes qui sortaient des codes de la bande dessiné de l’époque et n’aurait été publiés nulle par ailleurs comme Lorenzo Mattotti et Charles Burns.

Reconnu comme un chef-d’œuvre

En France, les onze épisodes de Maus ont été rassemblés dans deux albums, le premier appelé Mon père saigne l'histoire (1981) et le deuxième Et c'est là que mes ennuis ont commencé ( 1992). Dès sa sortie, et dans ces deux pays, Maus a été reconnu comme un chef-d'œuvre de la bande dessiné et est aujourd’hui considéré comme une œuvre culte. Les deux volumes se sont écoulés à plusieurs millions d'exemplaires et sont régulièrement réédités. Ils ont reçu de très nombreux prix, dont le Prix Pulitzer en 1992, décerné pour la première et la seule fois à ce jour à une bande dessinée.

Biographie, autobiographie, mémoires...

Le sujet de cette bande dessinée, d’après l’auteur lui même, est sa vie personnelle et en particulier de ses relations complexes et souvent conflictuelles avec son père : Vladek Spiegelman, un juif polonais déporté durant la Seconde Guerre mondiale, qui est devenu dans les années 70 un vieillard grincheux. Dans cette bande dessinée, ce personnage raconte son histoire à son fils Art, qui veut réaliser une bande dessinée à partir des souvenirs de son père sur l’holocauste. A travers ce récit cadre, cette œuvre raconte donc la réalité des ghettos et la Shoah, sans aucune concession, n'hésitant pas à montrer les horreurs subies par le peuple juif. Maus correspond donc à plusieurs catégories : biographie, autobiographie, mémoires, témoignage historique et récit de fiction.

Mise à distance

La présence d’animaux ne rend pas, pour autant, cette œuvre amusante, mais elle aide à rendre supportables, par un effet de mise à distance, les souffrances endurées par les Juifs. Cette utilisation d'animaux anthropomorphiques n'empêche pas l'histoire d'être sérieuse et très sombre. Spiegelman y évoque aussi l'impact psychologique de cette catastrophe sur la communauté juive tout entière, et sur plusieurs générations. L’auteur opte pour un trait épuré en noir et blanc, proche de ses esquisses au crayon, car il le trouve plus intuitif et plus direct. Le dessin des personnages est minimaliste : un corps d'humain surmonté d'une tête d'animal où les yeux correspondent à des points, tandis que les bouches et les sourcils sont de simples traits.

Composition des planches très étudiée

Derrière cette simplicité apparente, la composition des planches et des vignettes est très étudiée car l’auteur joue sur le récit cadre qui introduit ou ponctue le récit pour le commenter (p. 185) ce qui établit un lien constant de réalité entre les souvenirs et l’époque contemporaine à la création de la bande dessinée. L’auteur joue également sur les différents angles de vue comme dans cette planche (p. 127) où dans la deuxième vignette de la bande deux, on voit en contre-jour, comme le couple des parents d’Art, la silhouette noire d’un couple d’amis partir au loin. Leur destin est scellé par le phylactère qui est une prolepse: « Et les amis les ont cachés… Quand l’argent d’Avram a été fini, ils les ont dénoncés ». Puis dans la case suivante, on découvre le couple de ses parents en plongée. Ils marchent sur une route sans savoir où aller et les différents carrefours représentent une croix gammée, symbole de la menace des persécutions nazies qui pèsent sur eux.

MetaMaus

En 2011, Spiegelman publie MetaMaus, où il raconte les étapes de fabrication de son œuvre qui, 25 ans après sa sortie. Art Spiegelman a tenu à se rendre en Pologne avec son épouse afin d’avoir une représentation personnelle de ce pays. Il rappelle, dans ses interviews qu’il existait très peu de documentation, à l’époque de la composition de Maus, sur les persécutions des juifs pendant la seconde guerre mondiale. En 2012, le magazine Lire propose un classement des « 50 BD essentielles ». Maus est classé au deuxième rang. : 1. Tintin au Tibet (Les Aventures de Tintin, t. 20), Hergé 2. Maus, Art Spiegelman 3. La Ballade de la mer salée (Corto Maltese, t. 2), Hugo Pratt 4. La Marque jaune (Blake et Mortimer, t. 6), Edgar P. Jacobs

Avis personnel sur l’œuvre

J’ai été surpris par la puissance de cette œuvre que j’ai trouvée d’une grande justesse. J’ai ressenti beaucoup d’émotions pendant la lecture de cette bande dessinée : de l’horreur et de la tristesse augmentées par le traitement astucieusement simple et sombre qui ne laisse pas de place au doute face aux horreurs décrites et dessinées. J’apprécie particulièrement les œuvres en noir et blanc et j’ai donc été comblé par certaines cases qui sont splendides et possèdent une force visuelle incontestable. De plus, je pense que ce choix de couleurs s’imposait pour illustrer le sujet sensible de cette œuvre. J’ai trouvé le choix de remplacer les humain par des animaux intéressant car ce qui est raconté est « inhumains ». Ce roman graphique répond parfaitement au devoir de mémoire car on ne peut oublier les situations d’humiliation, de peur et de déshumanisation de ces souris déportées et persécutées."

Antoine B.

Images : © FLAMMARION / Art Spiegelman


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  1. Lien croisé

    Anonyme
    Mercredi 02/06/2021 à 17:25

    Site des médiathèques d'Antony : "Nous sommes heureux de vous dévoiler le palamarès du 15e concours BD d'Antony.Vous pouvez découvrir des reproductions des planche...mardi 1 juin 2021 09:26L'art du portrait en BD #7"