Un pavé dans l’Arctique

Homo sapienne de Niviaq Korneliussen

Homo sapienne. Voilà qui fait irrésistiblement penser à une très sérieuse étude de nos ancêtres. Retour à la préhistoire ? Pas question de remonter le temps ici, le roman est fermement ancré dans le présent : Niviaq Korneliussen nous offre un portait magistral et sans concession de ses compatriotes.

 

Nous, Européens du Sud, Français, voyons le Groenland avec les yeux du rêve,  comme une étendue sauvage et glacée, plus peuplée de phoques et d’ours polaires que d’humains. Les Inuits y survivent encore, mais perdent peu à peu leurs traditions, happés par la civilisation occidentale. Les hommes habitent des communautés isolées, posées en chapelet le long des côtes les plus clémentes. Nous devons préserver et protéger cette terre, réchauffement climatique oblige. Vous voyez le tableau ? Bien. Remballez tous ces clichés ! Et préparez-vous à encaisser.

 

Niviaq Korneliussen fait le portrait sans complaisance de la jeunesse de son pays. Arnaq, Inuk, Fia, Ivik et Sara vivent à Nuuk, la capitale (une vraie ville !). Chacun s’y sent étouffer à sa manière, cherche son identité, oscille entre violence et mélancolie, expérimente autant le sexe que les effets de l’alcool, en abuse. Que de désenchantement, me direz-vous… Oui, mais sous cette grisaille l’espoir est là. L’adolescence de ces cinq-là est une renaissance.

 

L’auteur n’est pas tendre avec ses personnages, elle n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère avec son lecteur ! Dans son récit classique en prose, s’invitent SMS, réseaux sociaux et échanges de lettres, les # (hashtags) fleurissent sur certaines pages. Déjà déstabilisés ? D’un coup les phrases se font plus courtes, hachées et haletantes, tournez la page et elles s’alanguissent et s’enlisent dans l’ennui. La langue elle-même est surprenante. Ne passez pas la préface, quelques clés vous y seront données en préparation à ce mélange détonnant qui passe sans transition d’une belle langue écrite à un anglais très familier.

 

Une lecture exigeante, donc, pour un « roman à playlist ». Chaque chapitre porte le titre d’une chanson, que votre curiosité vous poussera peut-être à écouter : la liste figure dans les dernières pages du livre. Eclectique.

 

Certains diront que toutes ces originalités ont déjà été vues ailleurs. C’est vrai. Mais pas combinées ainsi, ni avec un tel degré de liberté, une telle amplitude dans l’écriture. Avez-vous lu beaucoup de romans à propos des Groenlandais contemporains ?

 

Homo sapienne n’est pas pour moi un de ces coups de cœur qui mettent des paillettes dans les yeux, mais plutôt une lecture au départ intriguante qui s’est muée en une découverte inattendue, de poésie là où je ne l’attendais pas, pour devenir au final une trouvaille dont je me souviendrai longtemps.


Retrouvez Homo sapienne dans les médiathèques

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  1. Lien croisé

    Anonyme
    Mercredi 16/05/2018 à 09:22

    Site des médiathèques d'Antony : "Un manoir isolé, cinq s urs orphelines livrées à elles-mêmes depuis la mort de leurs parents dans un terrible accident de voiture...samedi 28 avril 2018 16:18Un pavé dans l'Arctique"