Samedi 5 février 2016. Nous y étions. Et vous ?

Rencontre littéraire à l’Espace Vasarely

La librairie La Passerelle, l’association Culture et Bibliothèque pour tous et le réseau des médiathèques d’Antony ont convié le public à l’Espace Vasarély pour une rencontre autour de deux auteurs de la sélection du Prix des lecteurs 2016, Didier Castino et Colin Niel. Un spécialiste de la littérature turque a fait également le déplacement à Antony pour nous parler du roman « Encore » de Hakan Günday.

A l’heure du thé et des gourmandises, nous n’avons pas boudé notre plaisir et avons particulièrement apprécié ces échanges sous forme d’interviews, suivis de nombreuses questions du public.


Didier Castino fut le premier à se lancer, interviewé par Marie-Claire, une lectrice des médiathèques d’Antony qui tient un blog culinaire et culturel très actif www.abrideabattue.

Pour son roman « Après le silence » paru chez Liana Levi, l’auteur est parti du réel. Dans les années 70, dans les Bouches-du-Rhône, s’est produit une vague d’accidents du travail avec au moins 1 mort/jour en six mois. Didier Castino tient là la matière de son roman.

L’usine devient le lieu où s’expriment les corps en souffrance. On y voit aussi des hommes qui aiment leur travail. L’usine est source de conflit chez l’ouvrier car il est fier de son travail mais pas de ses conditions. Ils essaient de sortir de cette vie qui les assomme par les luttes, les combats. L’usine va devenir un lieu tragique pour Louis, ce mouleur syndicaliste aux Fonderies et Aciéries du Midi et papa de trois enfants qu’il ne verra pas grandir.

Pour le plus jeune de ses fils, qui avait sept ans au moment de l’accident, c’est très compliqué. Pour ce fils d’ouvrier qui n’en est pas devenu un, son ascension sociale est douloureuse. Lui qui a toujours entendu parler de l’Homme, décide de donner la parole à ce père mort. Pour se libérer, s’en affranchir. Dans ce très beau premier roman, Didier Castino a voulu, par la mise en scène d’un narrateur mort, « fixer un peu ce qui est perdu » du monde ouvrier des années 70.


Colin Niel prend le relai pour son roman policier « Obia » paru aux éditions du Rouergue. Sylvie Balantzian, bibliothécaire, lance l’interview en abordant le thème du roman.

« Obia » se situe en Guyane et évoque la guerre du Surinam, un conflit qui a sévi de 1986 à 1992. C’est une guerre historique finalement peu connue même si la presse française en a parlé au moment des faits. Le public présent à cette rencontre n’en avait d’ailleurs pas, pour beaucoup d’entre eux, entendu parler et l’ont découvert à travers la lecture de ce roman. L’auteur a donc fait mouche en évoquant ce sujet, même si le thème du roman n’est pas cette guerre, mais ce qu’il en reste aujourd’hui. L’auteur s’est beaucoup documenté pour construire son récit. En plus des sources écrites, il a échangé avec des historiens et a également rencontré des anciens réfugiés et des membres de la jungle commando.

Et qu’en est-il de l’enquête policière ? Il est question de trafic de cocaïne dans lequel 3 jeunes de l’ouest de la Guyane se sont laissés embarquer. Des mules, voilà ce qu’ils sont devenus, chargés de transporter de la cocaïne vers l’Europe. Mais tout cela les dépasse très vite.

Les personnages sont très travaillés. Colin Niel ne les construit qu’au fil du roman, petit à petit. Il nous fait rentrer dans l’intimité de chacun d’eux, et chacun a de l’importance. Nous avons là une mosaïque de la population de Guyane : des créoles, des brésiliens, des haïtiens, des « métros »...Même si les relations entre chaque communauté ont l’air simple, la réalité est plus complexe. Colin Niel nous parle de ces relations humaines compliquées liées à cette période traumatisante de la guerre civile qui a vu un nombre important de réfugiés surinamais traverser le fleuve Maroni pour s’installer à Saint-Laurent-du-Maroni. Que reste-t-il de tout ça aujourd’hui ?

Troisième enquête du capitaine Anato après « Les hamacs de carton » et « Ce qu’il reste en forêt », ce roman policier social vous fera découvrir le pouvoir de l’Obia.


Timour Muhidine conclut cette série d’interviews avec Véronique Mutrel, libraire de la librairie La Passerelle à Antony. Ce spécialiste de la littérature turque à l’Inalco, romancier et traducteur, connait très bien Hakan Günday et a donc relevé haut la main le défi de nous en apprendre plus sur cet auteur, en son absence.

Il n’a pas joué la langue de bois et n’a pas donc pas caché la réalité du roman.

En effet, « Encore » est un roman très dur. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il aborde la question des migrants ? Certes, Hakan Günday écrit sur un sujet d’actualité. N’oublions pas toutefois que ce roman est paru il y a deux ans en Turquie. La Turquie est le pays qui voit passer le plus de migrants sur son sol et en supporte le poids. La question des migrants, on le voit bien, cristallise toutes les tensions en Europe.

Ce roman est très dur car il parle de l’exploitation qui est faite de ces migrants.

Et Gaza, ce garçon de neuf ans au début du roman, enrôlé par son père dans ce trafic de migrants, nous met à mal. On aimerait le penser innocent, victime de son père qui lui refuse l’accès à des études. Mais il s’avère ignoble dans le traitement infligé à ces migrants qu’il croise le temps d’une halte avant le grand départ vers l’Europe. Gaza est « supérieurement pervers ». C’est « un monstre », il a plaisir à l’être. Et ressent peu de culpabilité face à ses actes.

Cela en fait donc un personnage intéressant. Tout au long du roman, il va chercher la rédemption, mais il a fait tellement de mal…

Timour Muhidine nous avoue que l’auteur s’amuse beaucoup avec la sensibilité du lecteur. C’est un auteur très provocateur. Les lecteurs turcs adorent ça, d’ailleurs il a beaucoup de succès en Turquie. Ils se reconnaissent dans cet humour noir, grinçant, l’auteur aime beaucoup les jeux de mots aussi.

Ce roman sur le Bien et le Mal est à lire, je vous le conseille vivement, pour le portrait psychologique de ce jeune Gaza, et pour la qualité littéraire de ce livre.

Merci aux auteurs pour leur généreuse éloquence, aux intervieweuses en herbe et au public qui a fait le déplacement pour assister à ce rendez-vous.

Merci également aux lecteurs du blog. J’espère avoir éveillé votre curiosité pour ces romans.



Vous pouvez retrouver tous les auteurs sélectionnés dans le Prix 2016 des lecteurs d’Antony dans la brochure ci-dessous :
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