Retour sur spectacle

« Karamazov » au Théâtre Firmin Gémier/La Piscine

Karamazov : ce spectacle de plus de quatre heures restera gravé dans ma mémoire. Aucun temps mort, une adaptation et une mise en scène remarquables, des comédiens-musiciens talentueux qui nous ont communiqué leur enthousiasme pour le chef-d’œuvre de Dostoïevski.

Isabelle F. m’accompagnait et nous avons retrouvé Sylvie B et ses proches avec lesquels nous échangions nos impressions entre chaque partie. Et les commentaires allaient bon train tant le spectacle était riche, varié et souvent inattendu. Jean Bellorini, qui signait l’adaptation et la mise en scène nous a littéralement emporté dans l’univers dostoïevskien avec force et subtilité.

Dostoïevski, un auteur incontournable des lettres russes. Jean Bellorini a choisi la traduction d’André Markowicz dont le vocabulaire très familier peut surprendre. Il s’insère néanmoins parfaitement dans cette adaptation très proche de nos préoccupations actuelles.

Sur la scène, au début de la pièce, apparaît dans l’obscurité un homme travesti en femme. Il s’agit de la commère-récitante chargée de nous rafraîchir la mémoire sur les personnages de l’œuvre. D’emblée, sur un ton humoristique, elle nous brosse à grands traits la généalogie des Karamazov.

Tout d’abord les fils légitimes, brillants de passion et de questions : Dimitri l’amoureux passionné, Ivan le philosophe, Aliocha le mystique. Face à eux se place le bâtard, Smerdiakov, cynique et haineux, dégoûté par sa condition de domestique. Au hasard de la vie, ces quatre frères se retrouvent dans la ville paternelle. En proie aux questionnements de la vie, de la chair et de la foi, ils se heurtent à un père bouffon, égoïste et jouisseur…

Puis la scène s’éclaire sur un décor sobre : une simple datcha avec une échelle ou une rampe à l’arrière pour que les comédiens puissent investir le toit. Dans une pièce, un salon, dans l’autre un orchestre. Au premier plan, deux petites cages de verre et des rails laissant apparaître et disparaître, le temps d’une séquence, de petits tréteaux glissants. Des éclairages très étudiés pour varier les espaces, les faire changer d’aspect. La scène a du relief et le décor entre en résonance avec le jeu des acteurs et la musique. Cette dernière est omniprésente et essentielle à la conception artistique de l’œuvre.

« Je choisis souvent les auteurs pour leur musicalité — Novarina, Rabelais, Brecht et ses “songs”, Victor Hugo — parce que cette émotion si particulière porte du sens. Dostoïevski est lyrique comme Victor Hugo, mais d'un lyrisme âpre, cinglant, anti-romantique. Quand Hugo bascule dans l'épopée politique, Dostoïevski, lui, fait un constat plus noir, sans grand mouvement, au ras des choses. Chez lui, la liberté reçue en héritage conduit au pire : le père est un diable et les frères se déchirent dans une lutte entre le bien et le mal jusqu'au parricide. Mais le ton de Dostoïevski est tellement distancié qu'il se rapproche du nôtre, plus désenchanté... C'est une saga du XIXe qui pourrait être écrite au XXe siècle. » Jean Bellorini













En effet, Jean Bellorini, en mettant en avant l'esprit collectif, révèle davantage un tempérament de... chef d'orchestre. Ah ! La musique... Pas de spectacle chez lui sans chansons, ni de répétition sans chœur préalable avec les comédiens. « Chante-le », dit-il, souvent, cet après-midi-là, aux acteurs bloqués, plutôt que de parler psychologie. Il passe du temps à régler les canons parlé-chanté et les refrains de la troupe. Il va et vient entre les acteurs si naturellement chanteurs, et le pianiste Michalis Boliakis, son complice qui nous enchante avec ses morceaux de Frédéric Chopin revisités à la façon « impro jazz ». Il tisse les liens les plus subtils entre toutes ces voix, du Gloria de Vivaldi aux chants populaires en passant par une chanson d’Adamo. La qualité des voix, leurs couleurs dans la diversité des timbres me surprennent agréablement. Je formule un tout petit bémol. Avec de si belles voix, j’aurais aimé un chant en russe… et je ne suis pas la seule !

Le jeu des comédiens est complet. C’est vraiment une troupe dans l’esprit du TNP de Gérard Philippe et du théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Isabelle et moi avons partagé le même coup de cœur pour le jeu de Geoffroy Rondeau qui incarnait de sa belle voix le personnage d’Ivan. Son interprétation du récit du Grand Inquisiteur nous a laissé… sans voix. François Deblock (Aliocha), Jean-Christoph Folly (Mitia), Jacques Hadjaje (Fiodor Pavlovitch), Blanche Leleu (Lise), Camille de La Guillonnière (la commère-récitante)… tous aussi convaincants, donnaient toute leur énergie sur le plateau où les passions se déchaînaient, se mouvant avec souplesse d’un angle de la scène à l’autre, du bas en haut de la datcha, en une véritable chorégraphie.




Je ne vous ai pas parlé du meurtre et de l’intrigue policière… Mais il ne faut pas tout dévoiler ! Vous l’aurez compris. Je vous recommande vivement d’aller voir ce spectacle dont vous n’avez pas fini d’entendre parler.

Après le festival d’Avignon (spectacle joué dans la carrière Boulbon), le théâtre Gérard Philippe et le TFG/La Piscine, vous pourrez voir ce spectacle aux dates et lieux suivants : 22 mars - 25 mars au Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées 30 mars - 2 avril, 4 avril - 7 avril au Théâtre des Célestins – Lyon 20 avril au Domaine d’O - Montpellier Merci à l’équipe du théâtre Firmin Gémier/La Piscine et à son directeur Marc Jeancourt de nous offrir d’aussi merveilleux spectacles au pied de chez nous.


Conseils de lecture :

Les frères Karamazov de Dostoïevski ; traduit par André Markowicz. Actes Sud, 2002. 2 volumes. (Babel)

Les Frères Karamazov de Dostoïevski ; traduit par Lucie Desormonts, Sylvie Luneau, Henri Mongault et Boris de Schlœzer, édition et préface de Pierre Pascal. Gallimard, 1990. (Bibliothèque de la Pléiade) Contient : Les frères Karamazov. Les carnets des frères Karamazov. Niétochka Niézvanov

Apollinaria : une passion russe de Capucine Motte. Lattès, 2013. Prix Roger-Nimier 2013. Cette histoire romanesque d'Apollinaria Souslova, la muse de Dostoïevski, dresse un portrait du grand écrivain russe.

Crime et châtiment, sous la direction de Jean Clair. Gallimard : Musée d'Orsay, 2010. (Livres d'art) Crimes, prisons, décapitations, autant de thèmes qui parcourent l'art depuis la Révolution française. Qu'il soit politique ou crapuleux, le crime de sang décuple par l'image sa puissance fantasmatique. De Goya à Grosz en passant par Delacroix, une exploration de la représentation du crime dans l'art.

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  1. Lien croisé

    Anonyme
    Samedi 15/04/2017 à 10:18

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