Les derniers jours d’un immortel

Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval

Futuropolis
2010

Séquence d’ouverture : face à son thérapeute, un jeune homme tente de mettre des mots sur le traumatique évènement dont il vient d’être la victime. En l’occurrence... son propre assassinat, dont il fait le récit sur un ton mêlant gêne et amertume : son meurtrier n’est autre que son collègue de travail, avec qui l'entente semblait pourtant cordiale.
Jeremiah, l’éminent psychologue qui l’écoute - et personnage principal de l’histoire - va, en tant que médiateur, rapidement découvrir le mobile du tueur. Mais une nouvelle affaire, d’une toute autre ampleur, va le mettre à rude épreuve. Alors, enquête deviendra en quête.

Ces "Derniers jours d’un immortel" projettent leur lecteur dans un avenir délibérément édénique : sans encombre, l’humanité y a rendu mort et vieillissement réversibles, et tout un chacun peut à loisir, en cas d’accident, investir un corps flambant neuf (obtenu par clonage) et y “télécharger” son esprit préalablement sauvegardé (comme on le ferait du contenu d’un disque dur). L’Homme, désormais réparable et perfectible (“upgradable”) à volonté, bénéficie enfin des avantages de la machine : le service après-vente à vie. Hédonisme et technologie sont si parfaitement intégrés l’un à l’autre que les plaisirs artificiels sont désormais aussi surpuissants qu’inoffensifs, au point d’avoir rendu la sexualité presque vaine et inutile. Un tel futur n’est d’ailleurs peut-être pas si éloigné que l’on pourrait le penser, à en croire la récente une du Time Magazine intitulée 2045: The Year Man Becomes Immortal.

Or, dans ce contexte de mort maîtrisée et de jouissance éternelle, aurions-nous encore malgré tout envie de mourir ? De tuer ? Comment et sous quelle forme ferions-nous encore la fête, l’amour, la guerre ? A quels étrangers, à quels autres réserverons-nous la faveur de notre affection, détestation ou mépris ?

Fabien Vehlmann et son dessinateur Gwenn De Bonneval ne sont bien sûr pas les premiers à poser, par le biais de la science-fiction cybernétique, la question "Qu’est-ce qui constitue véritablement un être humain ?"
La grande réussite de leur livre est de dérouler l’enquête policière - et philosophique - menée par Jeremiah en nous plongeant dans l'intimité domestique de ce dernier, un environnement quotidien et mental à la fois familier et fantasmagorique, relevant d'une futurologie souvent négligée : celle des moeurs. Sans même parler de l'odyssée psychologique de ce - très attachant - héros, disons que le lecteur a tout à gagner à cette confrontation "u-sociale" (comme on parle d'uchronie ou d'utopie !)

Sans rien en dévoiler de plus, je me contenterai de louer une fois pour toutes l’intelligence et la fantaisie du scénario, la grande poésie de certaines séquences évoquant autant Topor que Levi-Strauss, mais ce n’est certes pas l’œuvre de n’importe qui : Fabien Vehlmann est un auteur acclamé et curieux de tout, puisque l’on lui doit également (avec divers dessinateurs) Jolies ténèbres, Seuls ou encore L’île aux 100 000 morts mais également des gags de la série animée Avez-vous déjà vu...? Quant au dessin de Gwen de Bonneval, je le trouve pour ma part absolument charmant, avec ses faux airs de SF d’antan : les personnages féminins ressemblent à des chanteuses sixties, les plantes de jardin sont aussi turgescentes et psychédéliques que chez Le vagabond des limbes et on ne serait pas surpris de croiser Valérian dans le hall d’attente de l’astroport; bref, un esthétique rétro-futuriste remarquablement maîtrisée, contrepoint idéal à la modernité du propos.

Oubliée au palmarès du Festival d’Angoulème 2011 puis par les dossiers BD des médias généralistes (au profit de telle ou telle blogueuse à la mode...), Les derniers jours d’un immortel est pratiquement digne des grands lauréats des années précédentes (le Pinocchio de Winshluss ou Là où vont nos pères de Shaun Tan), et a tout de même été élue Meilleure de Science-Fiction au Festival des Utopiales 2010. C’est, comme souvent le cas en Science-fiction, de deux non-spécialistes du genre que nous arrive ce candidat crédible au titre de classique instantané. A vous d’en décider !

Retrouvez cette BD dans les médiathèques d'Antony


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