31 janvier 1916. Bivouac du 53e RA. Cagna d’officier. Lieutenant Brindeau lisant le journal et son ordonnance brossant les bottes (Fonds Valois, section photographique de l'armée, album « Marne » n°60, camp de la Araja, T1051 / 35406).
Un samedi de novembre, juste après les célébrations de l’Armistice et du Centenaire de la Grande Guerre, nous nous sommes retrouvés pour parler… de la Grande Guerre.
Notre invité, Nicolas Mariot, sociologue, historien et auteur en 2013 du remarqué Tous unis dans la tranchée ? (Editions du Seuil), nous a paru tout indiqué pour un débat sur le thème « Quels rapports sociaux chez les poilus ? L’expérience des tranchées abolit-elle les différences de classe ? ».
La matinée passée en sa compagnie a été passionnante, très enrichissante et au final bien trop courte pour lui poser toutes nos questions. En voici un petit aperçu.
C’est naturellement sur ses travaux que Nicolas Mariot s’est appuyé pour nous décrire les rapports sociaux noués dans les tranchées. Ce sont deux mondes très différents qui se rencontrent sur le front en 1914 : bourgeois de la Belle Epoque n’ont rien à voir avec ouvriers et paysans.
Parmi les témoignages de soldats qui nous sont parvenus, très peu décrivent les relations sociales au sein du régiment. Ceux qui le font sont des intellectuels, « égarés » parmi les soldats du rang ou volontaires pour ces postes. Les soldats issus de la bourgeoisie sont dans leur grande majorité bacheliers, et donc, pour l’armée, voués à encadrer les troupes moins instruites.
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Bibliographie
De la correspondance et des journaux de guerre tenus par ces intellectuels ressortent leur surprise et leur incompréhension face aux soldats des classes populaires qui ne partagent guère leur idéaux de patriotisme, ni leur certitude de bientôt mener une « belle guerre » où la cavalerie charge sabre au clair, une guerre digne d’une épopée. Loin de doucher leur enthousiasme, ce manque d’engagement populaire les pousse à « faire la leçon » pour tenter de rééduquer leurs camarades de régiment. Lesquels n’ont que faire de telles leçons. Mais ce n’est qu’une différence parmi bien d’autres, et comme le dit Henri Barbusse dans une lettre à sa femme, en lui recommandant de choisir pour lui de nouvelles bottes solides mais surtout pas de trop belle facture, lui, l’intellectuel, « tranche déjà trop sur le commun ». Ces différences additionnées forment un véritable gouffre avec les simples soldats qui le font bien sentir à nos intellectuels.
Dans ces conditions, que dire de l’Union sacrée que l’on dit régner dans les tranchées ? Maintes fois elle a été évoquée, à la manière d’une vérité première. Nicolas Mariot interroge cette quasi légende à la lumière des témoignages… et la met à mal. L’atténuation jusqu’à la disparition des différences de classe apparaît effectivement, mais seulement lors des travaux de force, où tous les soldats mettent la main à la pâte. Pas besoin d’un baccalauréat pour manier la pelle et creuser.
Dès qu’il faut des compétences techniques particulières, en revanche… Les intellectuels tombent de leur piédestal : ce sont les soldats des classes populaires qui détiennent le savoir, que ce soit pour traire une vache errante ou construire une cheminée qui ne fume pas. Un rude choc pour nos bourgeois, dont certains sont fascinés par ce monde de connaissances inédit pour eux, tandis que d’autres se sentent déboussolés par un sentiment de déclassement social et en butte à un certain mépris de la part de leurs camarades plus débrouillards.
Au final, selon notre invité, l’Union sacrée en 1914 est dans la rencontre de gens qui se sont livrés de violents combats politiques avant la guerre et qui se retrouvent à partager de nombreux points communs en défendant la patrie.
Cette présentation vivante des rapports sociaux dans les tranchées s’est achevée par un feu nourri de questions. Elle a été organisée en partenariat avec la section antonienne de la Ligue des Droits de l’Homme et animée par Rencontres et Débats autrement qui vous propose d’en retrouver l’intégralité ici: TOUS UNIS DANS LA TRANCHEE ?
Une interview de Nicolas Mariot :
Mots-clés Café société, Première Guerre mondiale